«La critique du doute» Extrait du livre «Dieu le débat essentiel» de Tim Keller


Les piliers de la création (source NASA)

Nous reproduisons ci-dessous l’extrait du livre «Dieu, le débat essentiel» pages 55 à 59. Reproduction interdite sur tout support.


Le doute des sceptiques comporte toujours un élément de foi

Ainsi, même nos pensées rationnelles les plus rigoureuses sont truffées de différentes formes de croyances. Michel Polanyi va cependant plus loin en démontrant que même le doute des sceptiques comporte toujours un élément de foi. Dans la section« La critique du doute » de son essai, Polanyi fait valoir que le doute et la foi sont finalement « équivalents » car, dit-il, « le fait de douter de n’importe quelle affirmation nie [la] croyance […] en faveur d’autres croyances qui ne sont pas mises en doute pour le moment[i]. » On ne peut douter d’une croyance X que sur la base d’une croyance Y qui est la nôtre pour le moment. Nous ne pouvons donc pas dire, par exemple, que « personne n’en sait suffisamment pour statuer sur Dieu et la religion » sans présupposer que nos connaissances sur la nature de la religion sont suffisantes pour avoir des certitudes sur ce sujet précis.

Douter de ses doutes

Il y a quelques années, un homme a commencé à venir régulièrement à notre Église. Il avait grandi en croyant globalement en Dieu, mais avait été assailli par le doute lors de ses années universitaires et avait vécu des décennies sans croire en quoi que ce soit. Après avoir fréquenté notre Église pendant plusieurs mois, il m’a confié que la foi en Dieu lui semblait beaucoup plus plausible. Quand je lui ai demandé ce qui s’était passé, il m’a dit que le moment décisif avait été celui où il m’avait entendu prêcher sur le thème « Douter de ses doutes ». Il témoigne : « Je ne m’étais jamais rendu compte qu’il y avait forcément une foi installée sous mes doutes. Et quand j’ai réfléchi aux choses auxquelles je croyais auparavant, j’ai découvert que rien ne justifiait de croire en ces choses-là. Quand j’ai commencé à examiner certains fondements de mes doutes, croire en Dieu ne m’a plus semblé si difficile. »

Qu’est-ce que cela implique ? En apprenant à connaître cet homme qui est devenu un ami et finalement un membre de notre Église, j’ai passé en revue la liste des choses qui avaient suscité ses premiers doutes. Plus tard, j’ai découvert le blog d’un athée qui avait dressé une liste quasi similaire :

5 causes premières qui sèment le doute

La cause première qui sème la graine du doute initial varie d’une personne à l’autre. Cependant, certaines raisons courantes incluent : rencontrer un véritable athée et comprendre que ce n’est pas un misanthrope immoral et triste, comme les croyants sont amenés à le croire ; être témoin des atroces souffrances d’un bon et fidèle croyant qui est éprouvé apparemment sans raison ; être témoin de la corruption et de l’hypocrisie institutionnalisées au sein de la hiérarchie religieuse du croyant ; prendre conscience de l’injustice fondamentale des doctrines de l’enfer et du salut ; trouver une contradiction à laquelle personne ne peut répondre ou une erreur dans le texte sacré de prédilection du croyant.

«Into the Clear Air», Pathos.com (non daté), www.patheos.com/blogs/daylightatheism/essays/into-the-clear-air-extended-testimonies/

Voici comment mon ami a commencé à douter de ses doutes.

Rencontrer un véritable athée et comprendre que ce n’est pas un misanthrope immoral et triste.

Ce doute est basé sur la croyance implicite que les gens religieux sont sauvés parce qu’ils sont bons et moraux. Si tel est le cas, par définition, les athées devraient donc être des gens horribles et immoraux. Quand mon ami a entendu parler de l’enseignement biblique selon lequel les chrétiens sont uniquement sauvés par une grâce imméritée, et non par leur comportement moral, il a compris qu’il n’y avait aucune raison de croire qu’un athée ne puisse pas être bien meilleur qu’un chrétien. La croyance qui était installée sous ses doutes s’est fragmentée et ses doutes ont disparu.

Être témoin des atroces souffrances d’un bon et fidèle croyant qui est éprouvé apparemment sans raison.

Ce doute découle d’une croyance selon laquelle si les êtres humains que nous sommes ne peuvent discerner de raison suffisante pour expliquer une action divine, alors Dieu ne peut pas exister. Mon ami a pris conscience qu’il partait du principe qu’un esprit fini devrait être capable d’évaluer les motivations et les plans d’un Dieu infini. Il s’est demandé dans quelle mesure il était raisonnable de penser ainsi, d’avoir une telle confiance en sa propre sagacité, et le doute commença à perdre de sa force.

Être témoin de la corruption et de l’hypocrisie institutionnalisées au sein d’une hiérarchie religieuse.

C’est peut-être l’argument le plus justifié pour douter de la véracité d’une religion en particulier. Mais mon ami s’est rendu compte que les critères moraux sur lesquels il s’appuyait pour juger l’hypocrisie de ces croyants émanaient du christianisme : « La pire chose que je pouvais dire à propos des chrétiens, c’est qu’ils n’étaient pas assez chrétiens. Mais pourquoi auraient-ils dû l’être si le christianisme n’était pas vrai ? »

Prendre conscience de l’injustice fondamentale des doctrines de l’enfer et du salut.

Pour mon ami, ce doute provenait en grande partie des croyances sous-jacentes de sa culture. L’un de ses amis chinois ne croyait pas en Dieu mais lui expliqua un jour que, si Dieu existait, il aurait évidemment le droit de juger les hommes comme bon lui semble. Il a alors compris que ses doutes à propos de l’enfer étaient fondés sur cet état d’esprit très « blanc », occidental, démocratique et individualiste que la plupart des autres populations ne partagent pas. Il m’a confié que le fait de « maintenir que l’univers est géré comme une démocratie occidentale est un point de vue très ethnocentrique ».

Trouver une contradiction à laquelle personne ne peut répondre ou une erreur dans les Écritures.

Pour mon ami, ce doute venait de la conviction que tous les croyants avaient une confiance naïve et dépourvue d’esprit critique en la Bible. « Depuis que je viens dans votre Église, m’a-t-il dit, j’ai pris conscience que des milliers de thèses de doctorat ont été écrites sur chaque verset et que pour chaque désaccord sur deux versets qui se contredisent ou qui constituent une erreur, il existe dix contrepoints convaincants ». Il a ainsi cessé de croire, à juste titre, qu’il pouvait trouver dans la Bible une difficulté « à laquelle personne ne pouvait répondre ».

Un équilibre entre raison et foi

Rien de ce que j’ai dit ne devrait être interprété comme un argument en faveur de l’irrationalité ou de la croyance basée sur les seules émotions ou impulsions. Les pas de foi irrationnels, les préjugés et le traditionalisme inconditionnel sont mauvais. Nos thèses et nos arguments doivent être examinés de manière rationnelle pour évaluer leur cohérence interne et leur conformité avec ce que nous savons de la réalité. Nous devons avoir autant de bonnes raisons de croire que possible. La connaissance est cependant composée d’un axe objectif et d’un axe subjectif. À la suite de René Descartes et de John Locke, les Lumières ont refusé de considérer le subjectif comme véritable connaissance. D’un autre côté, les penseurs du 20e siècle comme Jacques Derrida et Michel Foucault, sensibles à la façon dont le pouvoir façonne les perceptions publiques de la réalité, ont remis en cause l’idée d’un quelconque axe objectif. Personne, pensaient-ils, ne devrait être sûr de rien.

L’objectivisme et le subjectivisme purs sont voués à l’échec

Mais Michel Polanyi est convaincu que ces deux positions conjointes (l’objectivisme et le subjectivisme purs) sont vouées à l’échec et qu’elles sont finalement indéfendables. Les objectivistes ne sont pas en mesure d’expliquer les nombreuses valeurs dont ils ont inévitablement connaissance même si elles ne peuvent être prouvées. Et les subjectivistes rendent leurs propres affirmations vides de sens et contradictoires. Où trouvent-ils la certitude d’une connaissance suffisante pour dire que personne n’a le droit d’être sûr ? Le but de Polanyi était « de restaurer l’équilibre de nos puissances cognitives[i] ». Les chercheurs en sciences sociales prétendent que nous atteignons ce que nous appelons « vérité » par un ensemble de procédés incluant la pensée analytique, l’expérience, l’empathie ou mentalisation et l’intuition[ii]. Dans la compréhension augustinienne, raison et foi vont toujours de pair et la raison opère toujours « sous la direction d’une croyance précédente[iii]. »

La raison et à la foi pour asseoir ses croyances

De même que le chrétien a recours à la raison et à la foi pour asseoir ses croyances, de même son voisin matérialiste a recours à la raison et à la foi pour asseoir les siennes. Tous deux examinent les mêmes réalités, dans la nature et la vie humaine, et tous deux cherchent un moyen rationnel, personnel, intuitif et social de les expliquer au mieux. La raison ne fonctionne pas et ne peut pas fonctionner seule.

Le matérialisme contemporain n’est donc pas l’absence de foi. Il repose au contraire sur toute une série de croyances, parmi lesquelles un certain nombre de suppositions sont extrêmement discutables quant à la nature de la preuve et de la rationalité proprement dite.


[i] Polanyi, Personal Knowledge, p. 272 et 265.

[ii] Voir A.I. Jack et al. (2016), «Why Do you Believe in God? Relationships Between Religious Belief, Analytic Thinking, Mentalizing and Moral Concern», PloS ONE 11, n° 3 (2006) : e0149989.

[iii] Michael Polanyi, Personal Knowledge, p. 266.


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Auteur de l’article : Éditions Clé

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