Extrait du livre Les Évangiles sont-ils fiables ? de Peter Williams
Jusqu’ici, nous avons examiné différentes sources de preuves de la fiabilité des récits évangéliques, mais j’aimerais maintenant me pencher sur la sempiternelle question des contradictions internes dans les Évangiles. Le fait de disposer de quatre récits différents de la vie d’un seul homme conduit à de nombreux recoupements, mais aussi de nombreuses divergences entre les récits. Dans la vie de tous les jours, il est assez courant que plusieurs récits d’un même évènement se contredisent, ou du moins semblent le faire. Au fil du temps, on a accusé les Évangiles de contenir de nombreuses contradictions, ce qui suggère au moins un certain degré d’indépendance au sein de chaque récit.
J’aimerais cependant, dans mon bref parcours sur ce sujet, me concentrer sur le fait que l’Évangile selon Jean contient beaucoup de contradictions formelles délibérées en interne et avec d’autres textes, comme avec la première épître de Jean dont le style est semblable. En voici quelques exemples.
1. Dieu aime le monde versus n’aimez pas le monde
En effet, Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle.
Jean 3.16
N’aimez pas le monde ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui.
1 Jean 2.15
2. Les gens croyaient lorsqu’ils voyaient les miracles de Jésus versus ils ne croyaient pas
Pendant que Jésus était à Jérusalem, lors de la fête de la Pâque, beaucoup crurent en lui en voyant les signes miraculeux qu’il faisait.
Jean 2.23
Malgré tous les signes miraculeux qu’il avait faits devant eux, ils ne croyaient pas en lui.
Jean 12.37
3. Ils connaissent Jésus et savent d’où il vient versus ils ne le savent pas
Jésus enseignait dans le temple. Il s’écria alors : « Vous me connaissez et vous savez d’où je suis ! »
Jean 7.28
Jésus leur répondit : « Même si je me rends témoignage à moi-même, mon témoignage est vrai, car je sais d’où je suis venu et où je vais. Quant à vous, vous ne savez pas d’où je viens ni où je vais. »
Jean 8.14
Ils lui dirent donc : « Où est ton Père ? » Jésus répondit : « Vous ne connaissez ni moi, ni mon Père. Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. »
Jean 8.19
4. Si Jésus rend témoignage de lui-même, son témoignage n’est pas vrai versus la formulation inverse
Si je me rends témoignage à moi-même, mon témoignage n’est pas valable.
Jean 5.31
Là-dessus, les pharisiens lui dirent : « Tu te rends témoignage à toi-même ; ton témoignage n’est pas vrai. » Jésus leur répondit : « Même si je me rends témoignage à moi-même, mon témoignage est vrai, car je sais d’où je suis venu et où je vais. Quant à vous, vous ne savez pas d’où je viens ni où je vais. »
Jean 8.13-14
5. Jésus ne juge personne versus il a beaucoup à juger
Vous, vous jugez de façon humaine ; moi, je ne juge personne.
Jean 8.15
Et si je juge, mon jugement est vrai, car je ne suis pas seul ; mais le Père qui m’a envoyé est avec moi.
Jean 8.16
J’ai beaucoup de choses à dire et à juger à votre sujet, mais celui qui m’a envoyé est vrai, et ce que j’ai entendu de lui, je le dis au monde.
Jean 8.26
6. Jésus n’est pas venu dans le monde pour le juger versus Jésus est venu pour juger
Si quelqu’un entend mes paroles mais n’y croit pas, ce n’est pas moi qui le juge, car je suis venu non pour juger le monde, mais pour le sauver.
Jean 12.47
Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
Jean 3.17
Puis Jésus dit : « Je suis venu dans ce monde pour un jugement, pour que ceux qui ne voient pas voient et pour que ceux qui voient deviennent aveugles. »
Jean 9.39
contradictions délibérée…
J’espère qu’après avoir lu ces versets et étudié la manière subtile dont l’Évangile selon Jean a été écrit, vous conviendrez que ces contradictions formelles sont délibérées. Elles font partie de la façon dont l’auteur nous pousse à réfléchir sur les différentes significations des mots employés[1]. Cet échantillon nous prépare à examiner la citation du sceptique Bart Ehrman tirée d’un ouvrage dans lequel il explique ce qu’il pense être les contradictions les plus évidentes dans les Évangiles :
… ou pas pour Ehrman
Une de mes contradictions apparentes préférées (cela fait des années que je lis Jean et je n’avais jamais remarqué combien celle-ci était étrange) se trouve dans le « discours d’adieu » de Jésus, le dernier discours que Jésus adresse à ses disciples, lors de son dernier repas avec eux. Il occupe la totalité des chapitres 13 à 17 de l’Évangile selon Jean. Dans Jean 13.36, Pierre demande à Jésus : « Seigneur, où vas-tu ? » Puis, quelques versets plus loin, Thomas déclare : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. » (14.5). Puis de nouveau, quelques minutes plus tard, au cours du même repas, Jésus réprimande ses disciples par ces paroles : « Maintenant je m’en vais vers celui qui m’a envoyé, et aucun de vous ne me demande : “Où vas-tu ?” » (Jn 16.5). Soit Jésus avait une très petite capacité de concentration, soit une anomalie inhérente aux sources de ces chapitres crée une sorte de hiatus étrange[2].
L’art du paradoxe…
Ce raisonnement fait partie des arguments cumulés par Ehrman pour prouver l’existence de contradictions irréconciliables dans les Évangiles. Cependant, sa méthode montre une faiblesse. Dans chaque cas cité ci-dessus, il montre Jésus en train d’alimenter une partie, voire la totalité de la contradiction. Pourtant, un enseignant exceptionnel n’est-il pas en droit de pratiquer l’art du paradoxe ? Chacune des contradictions formelles évoquées fait ressortir les multiples significations des mots du discours. Dans l’Évangile selon Jean, Jésus va à la croix, puis à Dieu son Père. Ce n’est pas à cela que pensent les disciples, leurs pensées sont tout naturellement et simplement tournées vers l’endroit où il a l’intention de se rendre. Le côté ironique a simplement échappé à Ehrman.
… pour faire réfléchir.
Il semblerait donc que le problème des contradictions soit devenu une sorte de jeu où l’on compte les points entre ceux qui croient que les Évangiles contiennent des erreurs et ceux qui le nient. Dans le passage qui nous intéresse, l’auteur de l’Évangile selon Jean a rapporté des contradictions au niveau superficiel du langage afin de pousser le lecteur à réfléchir. Cela ressemble un peu à la façon dont Dickens a introduit son livre Un conte de deux villes en commençant par toute une liste de phrases contradictoires destinées à souligner les inconséquences d’une époque. Son introduction est célèbre : « C’était le meilleur et le pire des temps[3]. »
La présence de ces contradictions formelles et délibérées ne signifie pas que les affirmations qui les composent ne soient pas toutes deux justes, à un degré plus profond de compréhension. Mais elles montrent la volonté qu’a l’auteur d’encourager ses lecteurs à s’engager dans une réflexion en profondeur et non de satisfaire ceux qui espèrent trouver des erreurs.
une explication est toujours possible !
Si un auteur donné s’arroge le droit de jouer sur les différents sens d’un mot, pourquoi un autre ne le ferait-il pas également ? Si quelqu’un avance l’hypothèse que deux récits évangéliques se contredisent tellement qu’ils ne peuvent tous deux être vrais, il doit d’abord s’assurer qu’il a compris correctement l’idée de chaque texte et qu’il ne fait pas une interprétation erronée des récits. Si l’on prend toutes les nombreuses contradictions supposées des Évangiles et tous les textes qui restent déroutants, je n’en connais aucun qui ne puisse trouver une explication.
[1] Le philosophe d’Oxford Thomas W. Simpson affirme que la contradiction formelle de Jean 5.31 et 8.14 montre en fait une « sophistication philosophique ». Voir son « Testimony in John’s Gospel: The Puzzle of 5:31 and 8:14 », Tyndale Bulletin 65, n° 1, 2014, p. 101-118, en particulier p. 101.
[2] Bart D. Ehrman, Jesus, Interrupted: Revealing the Hidden Contradictions in the Bible (and Why We Don’t Know about Them), New York: HarperOne, 2009, p. 9.
[3] Charles Dickens, A Tale of Two Cities, London: Chapman & Hall, 1859. Un conte de deux villes, Paris : Gallimard, 1989.
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1 commentaire sur “Qu’en est-il des contradictions dans les Évangiles ? Peter Williams”
Roland
(25/10/2020 - 09:18)Je vous encourage à publier encore davantage d’articles aussi intéressants !