Discussion avec Tim Keller – « Une espérance en ces temps troublés » (partie 1/4)


Note des Éditions Clé : cette série d’articles est la traduction d’une conversation entre Russell Moore et Tim Keller, pour la radio Signpost. Vous pouvez consulter ici la version originale, en anglais, disponible à l’écrit et en audio.

Note de l’éditeur : Ce qui suit est une transcription d’une conversation entre Russell Moore et Tim Keller, auteur prolifique et pasteur. Ils discutent de la peur, de la souffrance et de la façon dont la résurrection de Jésus nous insuffle un espoir réel et vivant.

Partie 1 : La joie, les regrets et la place de Dieu dans notre vie.

Russell Moore : Bonjour, ici Russell Moore, et vous écoutez Signposts. Ici, dans l’émission Signposts, je vous invite à vous installer et m’écouter parler avec des penseurs et des leaders sur toute une série de sujets, toujours à la recherche de ce que Walker Percy appelait « des panneaux de signalisation en terre étrangère ». Et je suis vraiment, vraiment honoré d’accueillir mon ami Tim Keller aujourd’hui pour parler de son nouveau livre intitulé « Un espérance en ces temps troublés : la force de la résurrection au quotidien. » Tim, merci d’être sur Signpost aujourd’hui.

Tim Keller : Eh bien, c’est un honneur d’être ici. Merci.

Moore : Je finissais ton livre hier soir, et en le faisant, je pensais à l’article que tu as écrit pour The Atlantic il y a quelques semaines. Il a trouvé un écho chez beaucoup de gens. Tu parles notamment des choses que tu as apprises pendant que tu étais traité pour un cancer. L’une des choses qui m’a le plus frappé dans cet article, et que l’on retrouve également à plusieurs reprises dans ton livre, c’est qu’au cours de cette période, tu as appris que tu pouvais trouver beaucoup plus de joie quand tu n’essayais pas de faire des choses qui pouvaient t’apporter de la joie un paradis. Pourrais-tu expliquer un peu plus ce que tu entends par là ?

Tim Keller : Oui, bien sûr. Je vais l’expliquer à la fois d’un point de vue matériel, et peut-être aussi un peu théologique. Ma femme, Kathy, et moi reconnaissons le fait que nous avons reposé une grande partie de notre joie sur des choses matérielles, très différentes pour chacun d’entre nous. En fait, on était un peu comme des stéréotypes de genre !

J’accordais beaucoup d’importance aux accomplissements du ministère… Ou peut-être qu’un meilleur terme serait : aux nouvelles institutions qui se créaient, aux nouvelles organisations… En bref, tout ce qui est nouveau, je suis un entrepreneur, j’aime ça. Je trouvais que c’était ce qui donnait un sens à ma vie. Ma femme, de son côté, a réalisé – et surtout en vieillissant – que, parmi les endroits dans lesquels on vivait, il y en avait où l’on allait quelques semaines pendant l’année qui étaient indispensables pour elle. Certains aspects de l’environnement physique également. Des images, des sons, des choses que nous pouvions faire… Lorsque le diagnostic pour le cancer est tombé, tout cela nous a été enlevé. Pas complètement – de mon côté, je peux lire et écrire et faire des choses – et je peux même parler sur des podcasts comme celui-ci. Mais ce n’est pas pareil que de fonder une église ou d’entreprendre… il y a des choses que je ne peux plus faire. Et même que je ne devrais pas faire, en fait, maintenant.

Kathy a également réalisé que nous devions renoncer à aller dans certains des endroits où nous allions tous les ans depuis des années. Des endroits où elle avait du répit, l’impression de renouveler son âme… Nous avons réalisé que ce n’était pas Dieu, mais les dons de Dieu que nous recherchions vraiment. Et que lorsque vous essayez de faire des dons de Dieu un Dieu, vous n’obtenez pas autant d’eux. Nous avons réalisé que nous n’étions jamais vraiment satisfaits par eux. Quand nous avons appris pour le cancer, nous sommes en quelque sorte morts à cela. Nous nous sommes dit que nous ne verrions peut-être plus jamais ces choses, et nous avons commencé à aller vraiment après Dieu dans la prière. Nous avons réalisé que nous aimions vraiment ce que nous recevions, comme une belle journée, une fontaine… Il y a beaucoup de choses charmantes dans l’endroit où nous vivons, et nous avons réalisé que nous appréciions la vie plus que nous ne l’avions fait auparavant.

Tu ne veux pas moins aimer quoi que ce soit ici-bas, car ce sont les bons cadeaux de Dieu.

Maintenant, la réponse théologique. Ce qu’Augustin veut dire par là, c’est que l’on réorganise ses amours. Le bouddhiste ou le stoïcien dirait que tu dois détacher ton cœur de ces choses pour qu’elles ne te blessent pas quand tu les perds. La personne moderne dirait « on n’a qu’une vie, alors on profite de tout ce qu’on peut. » (Tu te souviens de cette pub pour de la bière ? Est-ce que tu es assez vieux pour te souvenir de cette pub pour de la bière ?!) Enfin… ce qu’Augustin dirait, c’est que tu ne veux pas moins aimer quoi que ce soit ici-bas, car ce sont les bons cadeaux de Dieu. Tu ne veux pas endurcir ton cœur ou le détacher d’eux. Mais ton problème est que tu as besoin d’aimer Dieu davantage par rapport à eux. Et si tu fais cela, alors, si tu aimes les premières choses d’abord, tu aimeras les secondes choses ensuite, puis les troisièmes. Si tu aimes les secondes choses en premier ou les troisièmes choses en premier, tu les perdras ! Elles ne te donneront pas ce que tu veux. Donc on parle de quelque chose de très ancien – Augustin en parlait déjà dans les Confessions il y a 1500 ans – et j’ai pu en faire un article pour The Atlantic.

Moore : Je suppose qu’il y a probablement beaucoup de gens qui n’ont pas encore été confrontés à la mort, mais qui peuvent se questionner : comment savoir si je fais passer les choses en second ? Comment puis-je comparer l’amour pour Dieu, qui semble souvent inqualifiable et intangible, avec mon amour pour les choses secondaires ?

Tim Keller : C’est une excellente question. Je dirais que si on se la pose, on fait des progrès. Si on doute même de soi-même, on fait des progrès ! Mais je pense qu’en réalité, il y a des progrès qu’on ne fait pas avant que quelque chose ne tourne mal dans notre vie.

Enfin, il y en a certains qu’on peut faire sans problème ou difficulté. Donc, par exemple, si je fais de ma carrière une idole, puis-je vraiment la désidolâtrer sans que quelque chose ne tourne mal dans ma carrière ? Puis-je vraiment dire : « je travaille trop dur, je suis trop passionné… » ? Et là, on voit un de nos amis exploser, peut-être à cause de la même chose et on se dit : « Je ne veux pas aller là. Je vois ce qu’il a fait, il a commencé à mentir, il a commencé à faire des choses parce que c’était plus important pour lui de réussir que d’être honnête ou vertueux. Je ne veux pas faire ça. J’ai peur de ça. » Alors, est-ce que c’est possible de désidolâtrer sa carrière sans qu’il y ait un gros problème dans notre carrière ? Peut-être. Essaye. Parce que si ce n’est pas suffisant, Dieu te donnera un problème qui te forcera à le faire !

Moore : Lorsque tu es confronté à ces moments d’épreuves, qu’il s’agisse de mort ou autre, qu’en est-il des regrets ? Les gens parlent souvent de regarder en arrière et d’avoir des regrets. Et je ne parle pas ici de péchés. Je parle simplement de ce que l’on a accompli dans le cadre d’un ministère, par exemple, et qu’on regarde en arrière et qu’on se dit : « J’aurais aimé faire ceci ou ne pas faire cela ». Penses-tu qu’une expérience comme celle-ci accentue ces regrets ou est-ce que, pour toi en tout cas, elle les relativise ?

Le paradis réparera tous les maux.

Keller : Ah, c’est une excellente question. Je vais la remettre en perspective. Ce que je vais dire, c’est que ce que j’ai retenu de C.S. Lewis, de Tolkien et d’autres personnes de ce genre ; c’est que le paradis réparera tous les maux. En d’autres termes, il n’y aura pas de regrets quand vous y serez. Ou, d’une autre manière, tout ce que vous avez essayé d’accomplir ou d’atteindre dans cette vie n’est qu’un écho de ce que vous obtiendrez au paradis. Vous allez le manger et le boire, tout sera là. Donc, dans un sens, il ne devrait pas y avoir de regrets. Parce que tout ce qu’on espère atteindre, on l’atteindra. Cependant – et c’est même une bonne chose – eh bien, Kathy et moi, quand on regarde en arrière, on éprouve pas mal de regrets… Dans le sens que, quand notre mortalité a été mise en lumière et nous a finalement frappés, on a regardé en arrière et vu toutes les opportunités et les choses que nous n’avons pas utilisées. Après, tu te consoles avec ce que je viens de dire. Que le ciel fera amende honorable pour tout. Et tout ce que tu n’as pas accompli, eh bien dans le plan de Dieu – et « toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu et qui sont appelés selon son dessein » – dans le plan de Dieu, ce n’était pas quelque chose qui faisait partie de son plan pour l’histoire humaine. Et à la fin, tout va s’arranger. Tout s’arrangera.

Je vais te donner un exemple rapide, je vais un peu m’éparpiller…

Je vois d’autres personnes, des gens de mon âge et des gens que je connais assez bien, qui ont été bien meilleurs que moi pour mentorer une jeune génération de leaders. Et je réalise que – et voici mon excuse – le ministère que je dirigeais est devenu si grand que j’ai vraiment fait tout ce que je pouvais. J’avais une centaine de personnes à plein temps qui me rendaient des comptes. Et quand vos institutions deviennent aussi grandes, vous passez tellement de temps à les diriger..!

Un autre exemple, quelqu’un comme Mark Dever… Tu sais, Mark a presque délibérément restreint leur église, parce qu’elle ne s’est pas lancée dans des services multiples, des vidéos etc. Je ne sais pas s’il avait prévu de faire ça, mais il a gardé l’église à la taille qu’elle était. Pendant longtemps. Ça lui a permis d’investir énormément de capital et de temps, au fil des années, pour former d’autres leaders et les mettre en avant. Et il est bien, bien meilleur à cela que je ne l’ai jamais été. Et c’est parce que mon église est devenue plus grande. Alors tu regardes en arrière et tu te dis : d’accord, mais d’un autre côté, de Redeemer sont nées toutes sortes de choses. City to City, qui est un réseau d’implantation d’églises international, a travaillé dans des milliers d’églises à travers le monde. Il n’y aurait pas de City to City si Redeemer n’avait pas pris de l’ampleur. Il n’y aurait pas Hope for New York. Il n’y aurait pas de services de conseil Redeemer. Il n’y aurait pas, tu sais, toutes ces choses qui sont arrivées. Et donc tu regardes en arrière et tu te dis : Dieu, il sait. Et pourtant, il y a des moments où Kathy et moi, on regarde en arrière… et on se dit qu’à la lumière de l’éternité, on n’aura pas de regrets… Mais pour l’instant, on en a un certain nombre…

Lire la suite >> Partie 2 : la peur de la mort, la foi et l’espérance. Être un chrétien troublé ?

Découvrez le livre dans notre boutique ou chez votre libraire.


Récension sur cet ouvrage

Blog 7ICI : https://librairie-7ici.com/blog/une-esperance-en-ces-temps-troubles–n566

Vous aimez l'article ? Partagez-le sur un réseau social. Vous nous aidez ainsi à le faire connaitre ;)

Auteur de l’article : Éditions Clé

Éditions Clé

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *