Note des Éditions Clé : cette série d’articles est la traduction d’une conversation entre Russell Moore et Timothy Keller, pour la radio Signpost. Vous pouvez consulter ici la version originale, en anglais, disponible à l’écrit et en audio.
Partie 2 : La peur de la mort, la foi et l’espérance. Être un chrétien troublé ?
Il y a eu un renversement culturel sur le fait de nier notre finitude, à la fois en tant que race humaine et en tant que civilisation.
Moore : Tu parles du trouble dans le sous-titre du livre, ou plutôt dans le titre actuel Une espérance en ces temps troublés. J’ai mis un lien vers ton article de The Atlantic dans ma lettre d’information, et j’ai été assez surpris d’avoir des retours de beaucoup de personnes pour lesquelles ça avait fait mouche. Des personnes d’une vingtaine d’années ; et on aurait pu croire que, d’habitude, celles-ci ne réfléchissent pas sur le long terme. Mais je me demande si, quelque part, cette année de COVID n’a pas forcé tout le monde à s’attaquer à la mortalité, la brièveté de la vie, etc ; et à la peur. J’aimerais savoir ce que tu pourrais dire par rapport à cela. Hébreux 2 dit que nous avons été libérés de l’esclavage de la peur de la mort, et pourtant, nous avons tous peur de la mort. La Bible dit que nous ne sommes plus esclaves de cette peur. Alors pourquoi ceux d’entre nous qui connaissent Christ, qui suivent Christ, ont-ils encore ce sentiment de peur quand ils pensent à la mort ?
Keller : Eh bien… Alors, je vois deux plans dans la réponse à ta question. Le premier plan…(je parlerai des chrétiens dans une seconde)… au premier plan, c’est que la pandémie a, en quelques sortes, brisé le déni. Je veux dire par là que, fondamentalement, tout le monde vit dans le déni de sa propre mortalité. D’ailleurs, j’ai cité Jean Calvin dans l’article de The Atlantic (ce qui n’est pas arrivé récemment dans The Atlantic, j’en suis sûr ) ! Il dit que lorsque tu vois un cadavre, tu philosophes sur la mortalité, mais ensuite, tu repars et dans le fond, tu crois à ta propre perpétuité. Dans sa petite section dans l’Institution – une section qui a été retirée et qui s’appelle Le petit livre sur la vie chrétienne – Calvin dit qu’en fait, méditer sur notre mortalité future est primordial et que nous vivons tous dans le déni. Et par conséquent, nous faisons de mauvais choix. Nous ne nous tournons pas vers Dieu de la bonne manière. Nous faisons de mauvais choix de vie. C’est très, très intéressant. Je pense que la pandémie, d’une certaine façon, a été un moment où les gens se sont dit : « Attends une minute, tous ces films dystopiques où la peste arrive et anéantit un tiers du monde, où quelqu’un pirate les infrastructures et où le monde entier, tu sais, il y a une grande dépression parce que les banques, tous les systèmes bancaires du monde entier s’effondrent et personne ne sait à qui faire confiance. Ou quelqu’un fait exploser une bombe et détruit la moitié d’un pays et… attends mais en fait, ces choses peuvent réellement arriver ! »
Parce qu’en fait la pandémie est très… comme tu sais, on y est passé à ça… Mais ce n’est rien comparé à ce qui pourrait arriver. Et on n’est pas vraiment en position de dire « oh, ça va, on a mis en place des choses pour que ça ne se reproduise pas. » Personne ne le dit. Et donc, je pense que quelque part, pour le monde entier et en particulier pour les jeunes, il y a eu un renversement culturel sur le fait de nier notre finitude, à la fois en tant que race humaine et en tant que civilisation. Ce qui est très similaire à ce qui s’est passé pour moi quand on m’a dit le 14 mai 2020 : « tu sais quoi, tu as un cancer du pancréas. La plupart des personnes atteintes du cancer du pancréas meurent dans l’année ou l’année et demie qui suit le diagnostic. » Ce sont deux situations comparables. C’est pour ça que je dis que la raison pour laquelle la pandémie a créé ces comportements de peur dans le monde se situe sur deux plans.
Moore : Je pense que beaucoup de chrétiens, lorsqu’ils se heurtent à ce sentiment de peur, se demandent : est-ce que cela signifie que ma foi est insuffisante ? Si je sais qu’être absent sur terre, c’est être présent avec le Seigneur, ne devrais-je pas avoir le sentiment de courir vers le ciel sans ressentir d’inquiétude ?
Keller : Bien sûr que tu devrais ! D’ailleurs, si on croyait de tout notre cœur tout ce qu’on professait avec notre bouche et notre tête, on serait parfait. Il faut garder cela à l’esprit. En d’autres termes, si je faisais pleinement confiance à Jésus, pourquoi aurais-je peur ? Ce que j’ai toujours trouvé fascinant dans l’exposé de Martin Luther sur les dix commandements, c’est que Luther dit qu’on ne peut jamais enfreindre les commandements deux à dix sans avoir d’abord enfreint le premier. Ce qu’il veut dire, c’est que tu ne mentirais jamais, à moins que tu ne fasses de quelque chose un dieu plus important que Jésus à ce moment-là. Donc, par exemple, là tu mens parce que, en mentant pour ça, tu peux gagner un million de dollars. Très bien, alors l’argent est ton vrai Dieu, ta vraie sécurité, ton vrai succès. Cela signifie que tu brises le premier commandement, qui est « n’aie pas d’autres dieux devant moi », et la raison pour laquelle tu le brises est que l’amour de Dieu n’est pas aussi réel dans ton cœur. Notre foi est faible ! L’amour de Dieu n’est pas aussi réel pour notre cœur que l’amour de la popularité ou l’amour d’être considéré comme une personne qui réussit. Et donc, si je croyais vraiment les choses que je professe ; que je vais mourir et que je vais être ressuscité et que l’amour de Jésus est ce qui compte, etc ; eh bien, je serais parfait et tu serais parfait. On ne pécherait jamais, on n’aurait aucune raison de pécher.
Alors, oui, bien sûr, bien sûr, on devrait. On le devrait tous, mais on ne le fait pas. Mais Dieu continue de travailler avec des gens brisés, des gens qui ont besoin de la grâce chaque jour, chaque minute, chaque seconde.
Moore : Je ne sais pas si tu l’as déjà dit ou écrit publiquement, mais dans le club de lecture auquel nous appartenons, un soir (je crois que c’était en parlant de l’Ecclésiaste), tu as dit que si l’on n’avait que l’Ecclésiaste, on serait tenté par une sorte de nihilisme. Rien n’aurait d’importance. Et si on n’avait que les Proverbes, on serait tenté par un évangile de la prospérité : « je peux le faire, si je fais correctement les choses, j’obtiendrai tels et tels résultats… » Mais on a besoin de l’interaction entre les deux car Dieu, dans sa sagesse, a mis ces deux livres dans le canon et ils sont complémentaires. Je me demande si c’est la même chose pour ce qui concerne notre sens de la mortalité. Si on a le sentiment que la vie n’est qu’une vapeur, on peut penser que rien de ce que je fais n’a réellement d’importance. Et si tout ce qu’on avait serait de racheter le jour, de racheter le temps, on pourrait penser que tout ce qui compte, c’est ce que je fais maintenant. Mais on doit en quelque sorte maintenir ces choses en tension. Penses-tu que je suis sur la bonne voie avec ça ?
Keller : Oui. Oui, non seulement tu es sur la bonne voie, mais en plus, cette idée de l’Ancien Testament vient de mon ami Tremper Longman. Tu sais, c’est un professeur de l’Ancien Testament qui a dit que le canon a été mis en place par Dieu pour que nous ayons ces équilibres. Et dans le Nouveau Testament, l’équilibre arrive entre les deux. C’est une grande partie de mon livre, d’ailleurs, de dire que lorsque Jésus est ressuscité des morts, il a apporté le royaume futur dans le présent, partiellement mais pas complètement. Et je pense à ce « déjà là mais pas encore »… nous sommes rachetés, mais pas complètement ; on ne doit pas être cyniques et penser qu’on ne peut pas voir de grandes choses arriver, mais en même temps, on ne doit pas être naïfs et utopiques. Et donc, je pense que cet équilibre dont tu parles, il n’est pas seulement dans le Nouveau Testament, mais il est en central du Nouveau Testament, parce que le royaume de Dieu est déjà là, mais pas encore.
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1 commentaire sur “Discussion avec Tim Keller – « Une espérance en ces temps troublés » (partie 2/4)”
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