Extrait du livre Contradictions apparentes


Je peux voir Dieu… ou pas ?
par Matthieu Moury

Matthieu Moury est pasteur de l‘Eglise évangélique Baptiste d’Argenteuil (France) et missionnaire de Christ Church Cambridge (Royaume-Uni). Il est, par ailleurs, chargé de cours à la Faculté de Théologie Evangélique de Montréal (Québec)

Le 11 août 1999 a eu lieu un événement d’ampleur internationale : une éclipse solaire totale. À l’époque, ce phénomène astronomique hors du commun suscitait de vives attentes. La majorité des habitants des pays concernés voulaient en effet voir l’éclipse de leurs propres yeux. Après tout, c’était l’occasion ou jamais ! Toutefois, cela nécessitait de se procurer des lunettes spéciales, sous peine de subir des dommages irréversibles pour la vue. Malheureusement, plusieurs personnes mal avisées sont tombées dans ce piège… Personne ne peut regarder une éclipse solaire totale sans protection sous peine de perdre la vue. Personne ne peut voir Dieu sans protection sous peine de perdre la vie.

Pourtant, beaucoup de croyants à travers les âges ont souhaité voir Dieu face à face. Qui n’a jamais rêvé de contempler le Seigneur dans toute sa beauté, sa majesté, sa sainteté et son amour ? C’est ce désir qui a poussé Moïse, un homme qui voulait grandir en intimité avec Dieu, à demander à son Seigneur : « Fais-moi donc voir ta gloire ! » (Exode 33.18). Dans sa grâce, l’Éternel lui a permis de le voir par-derrière, mais il a ajouté cet avertissement solennel : «Tu ne pourras pas voir mon visage, car l’homme ne peut me voir et vivre » (Exode 33.20).

Toutefois, les lecteurs attentifs du livre de l’Exode pourraient rester circonspects face à cette demande parce qu’il semble bien que Moïse a déjà contemplé la gloire divine, quelques versets plus hauts :

Lorsque Moïse se rendait à cette tente, tout le peuple se levait ; chacun se tenait à l’entrée de sa tente et le suivait des yeux jusqu’à ce qu’il ait pénétré dans la tente. Lorsque Moïse avait pénétré dans la tente, la colonne de nuée descendait et s’arrêtait à l’entrée de la tente, et l’Éternel parlait avec Moïse. Tout le peuple voyait la colonne de nuée s’arrêter à l’entrée de la tente, et tout le peuple se levait et adorait, chacun à l’entrée de sa tente. L’Éternel parlait avec Moïse face à face, comme un homme parle à son ami.

Exode 33.8-11

Vous aurez sans doute remarqué l’insistance du texte sur la vue. Comment comprendre cela ? L’auteur de l’Exode se contredit-il ? Dieu est-il visible ou invisible ?

Un Dieu invisible

Si Moïse demande « fais-moi voir ta gloire » après son entretien « face à face » avec Dieu, c’est qu’il a conscience qu’il n’a pas pleinement vu l’Éternel. Même s’il se trouve dans la tente de la rencontre, dans le lieu de rencontre entre ciel et terre, Moïse sait que Dieu demeure largement caché à ses yeux.

En réponse à cette requête, l’Éternel déclare qu’il fera passer sa bonté devant lui et qu’il proclamera son nom. Et il ajoute au v. 20 : « Tu ne pourras pas voir mon visage, car l’homme ne peut me voir et vivre ». Même Moïse, l’homme qui a trouvé faveur aux yeux de Dieu par l’ardeur de sa foi, ne peut voir Dieu et vivre. Les limites inhérentes à l’homme en tant qu’homme, combinées aux effets du péché, l’empêchent de voir Dieu.

Dans sa grâce, Dieu va tout de même déployer un stratagème pour que Moïse puisse l’apercevoir :

L’Éternel dit : « Voici un endroit près de moi. Tu te tiendras sur le rocher. Quand ma gloire passera, je te mettrai dans un creux du rocher et je te couvrirai de ma main jusqu’à ce que je sois passé. Lorsque j’écarterai ma main, tu me verras par-derrière, mais mon visage ne pourra pas être vu. »

Exode 33.21-23

Dans cet épisode étonnant, le langage utilisé par l’Éternel est analogique : à strictement parler, Dieu n’a ni main, ni dos, ni visage. Dieu est esprit, il n’a donc pas de corps (Jn 4.24). Dès lors, la théophanie[1] qui va suivre sera forcément paradoxale. D’ailleurs, pour se montrer, Dieu doit d’abord cacher Moïse en l’entourant d’une double protection : en le cachant dans le creux du rocher et en le cachant par sa main. Si Moïse le voit, ça ne sera qu’in extremis, au dernier moment et pas de face. On a rêvé mieux pour un tête-à-tête !

Lorsque j’étais enfant, ma belle-mère m’autorisait à regarder des films, à condition de me cacher certaines scènes. Par exemple, j’avais le droit de voir Jurassic Park, sauf la fameuse scène du T-Rex. Lorsque cette séquence démarrait, ma belle-mère cachait le poste de sa main. Par conséquent, je ne visionnais jamais la scène en question… Je l’entendais, je la devinais, je la discernais, mais sans la voir pleinement et entièrement.

Il en va de même pour Moïse qui voit Dieu sans vraiment voir. Moïse apercevra Dieu par-derrière lorsque Dieu retirera sa main, mais il ne pourra jamais voir sa face. Ainsi, le Dieu caché se révèle… de manière voilée ! Le Dieu invisible devient visible tout en restant largement… invisible ! Dans cet épisode, Dieu se cache donc en se révélant et il se révèle en se cachant ; le Dieu invisible devient visible tout en restant invisible. Sur le mont Sinaï, Moïse a été irradié de la gloire de Dieu, au point qu’il a dû se couvrir d’un voile devant ses semblables (Ex 34.33-35), mais il n’a pas pu voir le visage de Dieu. Quelle frustration !

Quel rapport avec nos vies, me direz-vous ?

Nous avons été créés à l’image de Dieu afin de refléter sa gloire dans la création (Gn 1.26). Mais à cause de la désobéissance de nos premiers parents et de nos péchés, l’image s’est transformée en caricature, nous sommes privés de la gloire de Dieu (Rm 3.23). Depuis lors, nous sommes aveugles spirituellement comme le peuple d’Israël en son temps (Es 42.19) ; nous ne pouvons voir Dieu parce qu’il se soustrait à nos yeux (Es 45.15).

Est-il donc impossible de voir Dieu pour des hommes pécheurs comme nous ? Pouvons-nous espérer une théophanie comme celle que l’Éternel a accordée à Moïse ?

Un Dieu visible

Selon la Bible, il n’est possible de voir Dieu que s’il consent à descendre vers nous en prenant une forme visible (Ez 1.1-28). Bonne nouvelle, il l’a fait suprêmement dans l’Évangile ! Un des aspects les plus négligés de la Bonne Nouvelle de l’Évangile, c’est qu’en Jésus-Christ, le Dieu invisible devient visible. Un des aspects les plus négligés de la Bonne Nouvelle de l’Évangile, c’est qu’en Jésus-Christ, le Dieu caché est révélé. Comment pouvons-nous voir Dieu ? La réponse du Nouveau Testament est unanime : en Jésus-Christ et seulement en Jésus-Christ !

Cette vision béatifique, c’est-à-dire la vision de Dieu, est rendue possible parce que Dieu a pris forme humaine. En d’autres termes, c’est par l’humanité de Christ que nous voyons la divinité de Dieu ! L’apôtre Jean, dans une référence évidente à l’épisode d’Exode 33, écrit en effet au début de son Évangile :

Et la Parole s’est faite homme, elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité, et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme celle du Fils unique venu du Père.
Jean 1.14

Et il ajoute au v. 18 :

Personne n’a jamais vu Dieu ; Dieu le Fils unique, qui est dans l’intimité du Père, est celui qui l’a fait connaître.
Jean 1.28

En d’autres termes, Dieu a répondu à la demande : « Fais-moi ta gloire ! » de manière parfaite a posteriori en envoyant son propre Fils dans la chair. Ainsi, lorsque Philippe a demandé à Jésus : « Montre-nous le Père » (Jean 14.8), ce dernier lui a répliqué : « Celui qui m’a vu à vu le Père » (Jean 14.9). Lorsque Philippe voyait Jésus, il ne voyait pas le dos de Dieu, ou même la main de Dieu… Il voyait Dieu ! C’est pour cela que l’apôtre Paul appelle Jésus « l’image du Dieu invisible » (Col 1.15).

Mais alors, si Jésus est Dieu incarné, visible aux yeux de tous, comment comprendre qu’il n’ait pas été reconnu comme tel en son temps ? Les Évangiles déploient un jeu permanent entre le caché et le révélé, entre le visible et l’invisible. Il suffit de penser à la déclaration surprenante de Jésus sur les choses cachées par Dieu aux sages, mais révélées aux petits (Mt 11.25-27), à la guérison de l’aveugle de naissance (Jn 9.1-41) ou encore à la séquence alternant aveuglement et dévoilement dans l’Évangile de Marc (Mc 8–10). Jésus est le Fils de Dieu. Seulement, sa divinité est en quelque sorte voilée dans son humanité (Jn 10.33). De plus, Satan jette un voile d’incrédulité devant les hommes pécheurs qui les empêche de reconnaître Jésus comme Seigneur (2Co 4.3-4).

Par conséquent, même les religieux les plus zélés de leur temps, les pharisiens, n’ont pas reconnu en Jésus le Fils de Dieu (Lc 5.21). Les disciples n’étaient pas en reste ; ils passaient le plus clair de leur temps dans le brouillard (Mc 10.35-45). L’exemple suprême de cet aveuglement reste la croix, lieu de révélation par excellence de l’amour, la grâce, la justice de Dieu en la personne de Jésus crucifié. Qui, parmi les bourreaux ou les spectateurs, a reconnu le Nazaréen pour qui il était vraiment ? Qui a reconnu dans le visage ensanglanté du Crucifié la réalité du Dieu incarné de Moïse ? Seul le centenier romain qui a affirmé : « Cet homme était vraiment le Fils de Dieu » (Mc 15.39).

Que nous faut-il comprendre ici ? En Jésus-Christ, le Dieu invisible devient visible, mais il demeure caché sans la foi. Le paradoxe de la visibilité de Dieu en Jésus, c’est qu’elle nécessite la foi jusqu’à ce qu’il revienne. Alors tout œil le verra (Ap 1.7), mais en attendant la foi prime (1Co 13.12).

Les disciples voyaient sans voir, passaient à côté de Jésus sans le reconnaître parce qu’ils n’avaient pas encore reçu la foi. Ce n’est qu’après la résurrection et l’envoi de l’Esprit qu’ils ont reconnu en Jésus le Dieu invisible devenu visible (Ac 2.14-39).

Un Dieu qu’il nous faut rendre visible

Qu’en est-il de nous aujourd’hui ? Le même voile demeure sur nos yeux tant qu’il n’est pas ôté par l’Esprit Saint lors de notre conversion (2 Co 3.15-16). Alors, le Dieu invisible devient visible en Jésus-Christ et seulement en Jésus-Christ par la foi ! Il s’agit ni plus ni moins d’une œuvre de nouvelle création :

En effet, le Dieu qui a ordonné que la lumière brille du sein des ténèbres a aussi fait briller sa lumière dans notre cœur pour faire resplendir la connaissance de la gloire de Dieu dans la personne de [Jésus-]Christ.

2 Corinthiens 4.6

Mais le plus extraordinaire, c’est que la Bible nous promet que nous sommes transformés à la ressemblance de Christ par l’Esprit lorsque nous lisons l’Écriture. L’apôtre Paul, dans une référence évidente à Exode 32 à 34, affirme :

Nous tous qui, sans voile sur le visage, contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés à son image, de gloire en gloire, par l’Esprit du Seigneur.

2 Corinthiens 3.18

Quelle promesse extraordinaire ! Si nous contemplons Christ, la gloire de Dieu, nous serons transformés en son image. En d’autres termes, en lisant l’Écriture, nous contemplons Christ et nous sommes restaurés dans notre humanité. C’est ainsi que le Dieu invisible deviendra visible dans nos vies !

Un jour, Jésus reviendra ; dès que nous le verrons nous serons instantanément transformés à son image. La vision de Dieu aboutira alors à la conformité à Christ :

Bien-aimés, nous sommes maintenant enfants de Dieu, et ce que nous serons un jour n’a pas encore été révélé. [Mais] nous savons que, lorsque Christ apparaîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu’il est.

1 Jean 3.2

En attendant, nous sommes engagés dans le processus de sanctification, Dieu nous transformant peu à peu à l’image de son Fils par l’Esprit. Non seulement nous pouvons voir Dieu (Mt 5.8), mais nous avons la responsabilité de le rendre visible autour de nous afin que les non-croyants se tournent vers lui (Mt 5.16).

Laissons-nous donc transformer à l’image de Jésus pour la gloire du Dieu invisible devenu visible en Jésus seul !


[1] Une théophanie est une apparition de Dieu.

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Auteur de l’article : Éditions Clé

Éditions Clé

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