Pourquoi Dieu n’a-t-il pas empêché l’homme de désobéir ? par P. Perrilliat


Origine du mal
Unsplash Photo de Andreas Bodemer

Nous reproduisons ici un extrait du livre Genèse 1 à 11 de Philippe Perrilliat.

Le choix comme une potentialité

Il est troublant de réaliser que l’Éternel Dieu n’intervient pas dans la scène de la chute. Il n’empêche pas le serpent de parler à la femme, ni n’arrête le bras de celle-ci alors qu’elle va saisir les fruits interdits. Il ne s’interpose pas quand elle les tend à son mari. C’est le moment de poser cette question récurrente : pourquoi, si Dieu savait que l’homme désobéirait, n’a-t-il rien fait pour l’en empêcher ? Il aurait pu commencer par ne pas faire pousser cet arbre, par exemple.

Mais nous avons vu que cet arbre est un outil pédagogique que l’Éternel emploie pour révéler à l’homme qu’il existe une loi morale dont Dieu seul est l’auteur, loi qui régit dans l’univers ce qui est bien et ce qui est mal. L’Éternel ne révèle pas cette loi aux animaux. C’est également à l’homme seul que l’Éternel donne accès à l’arbre de la vie. Le dessein de l’Éternel est de faire entrer l’homme et la femme dans une alliance éternelle avec lui. C’est dans ce cadre qu’il donne ordre à l’homme et à la femme de remplir la terre et de l’assujettir. Cela constitue la mission de représenter l’autorité divine sur la terre et de la conquérir paisiblement. Pour remplir ce mandat, l’homme doit donc suivre les ordres de celui qu’il représente. C’est la raison pour laquelle l’Éternel lui donne ce commandement. Commandement simple qui contenait implicitement en lui-même l’enseignement suivant : l’Éternel est Dieu, et l’homme est son envoyé sur terre.

Vient alors cette question : pourquoi Dieu n’a-t-il pas empêché l’homme de désobéir ?

La Bible ne donne pas de réponse explicite à cette question. Mais de nombreux penseurs chrétiens ont vu une réponse dans le fait que l’homme, pour représenter l’autorité de Dieu sur la terre, avait été créé à l’image de Dieu, selon sa ressemblance. Une partie de la ressemblance que l’homme possède avec Dieu réside dans sa possibilité de choisir. Sans cette possibilité, l’homme ne serait pas vraiment l’homme. Dieu a créé les humains pour qu’ils lui ressemblent, non comme des robots programmés pour exécuter des tâches sans volonté propre. L’Éternel désire l’obéissance chez l’homme, mais une obéissance volontaire et non forcée. L’obéissance volontaire n’est possible que lorsque l’on fait totalement confiance au donneur d’ordre. Une telle confiance est souvent mentionnée dans la Bible par un autre mot : la foi.

Apparemment, la loi morale de Dieu avait déjà été contestée avant la chute de l’homme. Le serpent (le diable en fait, comme nous l’avons vu) fait état d’une rébellion évidente dans les paroles qu’il adresse à la femme. Pourquoi le diable s’était-il rebellé ? Comment cela a-t-il pu arriver ? Probablement pour la même raison. Lui aussi devait avoir, en tant qu’ange, la possibilité du choix de l’obéissance volontaire. Néanmoins, il convient de dire ici que la Bible ne donne pas d’explication de la chute de Satan. Certains textes semblent en parler, mais ils sont controversés[1].

Mais ne peut-on pas alors reprocher à Dieu de n’avoir rien fait pour que la révolte du diable ne touche pas aussi l’homme ?

Non.

Pourquoi ? Parce que l’Éternel avait donné à l’homme le mandat de cultiver et de garder le jardin, et l’avait établi maître sur le genre animal. C’est probablement la raison pour laquelle le diable choisit de parler à la femme comme « déguisé » en serpent. S’il s’était présenté sous l’apparence de l’ange qu’il est, impressionnant et quelque peu effrayant (les descriptions angéliques dans la Bible révèlent que ce sont des êtres formidables), l’homme aurait immédiatement reconnu un être n’appartenant pas au genre animal, autrement dit une créature qui n’était pas explicitement sous sa juridiction. Mais il se trouve que le serpent, en tant qu’animal, était lui sous la juridiction de l’homme. En obéissant à un serpent, l’homme a transgressé sa fonction de garder le jardin et sa mission de régner sur les animaux. Notez comment le texte insiste sur ce point dont l’importance passe souvent inaperçue : le serpent est décrit comme une bête des champs (d’autres versions traduisent « un animal sauvage »). En tant que tel, il ne faisait pas partie du jardin. Il venait donc de l’extérieur. L’homme n’a pas gardé son domaine. Un animal étranger a dominé sur lui. L’histoire n’excuse pas Adam, mais le montre déficient vis-à-vis de la mission dont il était investi.

À la question « pourquoi Dieu a-t-il permis qu’Adam désobéisse ? », la meilleure réponse est donc : parce que l’Éternel l’avait créé intègre et lui avait laissé le choix.

L’origine du mal

Le mal n’est pas décrit comme une création divine, mais comme un choix moral mauvais. Le bien préexistait sans présence du mal. La Bible n’offre donc pas une vision dualiste du monde. Le mal est défini comme tout choix différent du bien absolu, la définition du bien absolu étant contenu dans la loi divine.

L’être qui a fait le premier choix moral mauvais est le diable. C’est en lui que doit être vue l’origine du mal, et non en Dieu. Plusieurs personnages dans l’Histoire ont fait l’erreur d’imputer à Dieu le mal dont le diable est responsable. Parmi ces hommes se trouvent parfois même des croyants authentiques qui traversent un moment terrible de doute[2].

Il s’agit malheureusement aussi le plus souvent d’hommes qui, par esprit de rébellion, se plaisent à accuser Dieu des maux dont ils devraient s’accuser eux-mêmes. Car le deuxième être à avoir fait un choix moral mauvais, c’est l’homme. Depuis l’épisode de la chute dans le jardin en Éden, l’histoire du monde a prouvé que le mal était largement produit par notre espèce.

Sans avoir à commettre des actes horribles, l’homme peut mesurer la profondeur du mal tapi dans son cœur, chaque fois qu’il forme la pensée de désobéir à ce qu’il sait être le bien.

La réponse du Nouveau Testament à la chute

Différencier la tentation du péché est important, comme nous l’avons vu plus haut. Être tenté n’est pas pécher, répétons-le, même si la différence est parfois si subtile que l’on a du mal à tracer la ligne entre les deux.

Deux des Évangiles rapportent en détail les tentations dont Jésus fut l’objet dans le désert. Il s’agit de Matthieu 4.1-11 et Luc 4.1-13[3]. Il existe plusieurs parallèles significatifs entre ces récits et l’épisode de la chute en Éden. Tout comme ce fut le cas en Éden, la tentation pour Jésus survint, non pas de l’intérieur, mais de l’extérieur. Si le diable utilise un serpent pour parler à Adam[4], il est démasqué dans les récits évangéliques. C’est lui qui tente Jésus. Ce détail important montre que l’humanité de Jésus, exempte de convoitise intérieure, ne pouvait être tentée, tout comme pour Adam, que depuis une source extérieure. Si le péché est héréditaire dans la race humaine (et nous verrons dans la suite du récit qu’il l’est malheureusement), ici apparaît toute l’importance de ce fait : l’humanité de Jésus n’a pas pour origine celle d’Adam. Les récits évangéliques insistent sur la conception miraculeuse de l’humanité de Jésus par le Saint-Esprit, et sur sa naissance d’une femme vierge. Paul, quant à lui, ira jusqu’à donner au Christ le titre de « dernier Adam ». Notez que le diable emploie, dans les Évangiles, le même langage ambigu qu’en Éden, en prétendant avoir besoin de plus d’informations. S’adressant à Jésus, il semble vouloir s’enquérir plus précisément de son identité, en commençant ses phrases par « Si tu es le Fils de Dieu… » pouvant aussi se comprendre par « puisque tu es le Fils de Dieu… ». La stratégie est la même qu’en Éden : pousser le dernier Adam à ne plus dépendre de Dieu seul. Notez que, dans l’épisode des tentations de Jésus, le diable cite également la Parole de Dieu, comme en Éden, mais d’une manière incorrecte : dans les Évangiles, il tord le sens d’un passage biblique contenu dans le psaume 91.

Un autre parallèle significatif réside dans la description de la tentation en Éden, et la nature des tentations dont Jésus fut l’objet. En Éden, l’arbre défendu apparaît comme « porteur de fruits bons à manger, agréable à regarder et précieux pour ouvrir l’intelligence ».

Les trois tentations répertoriées par Matthieu et Luc font implicitement état des mêmes caractéristiques. La tentation de transformer des pierres en pain fait résonance avec « bon à manger », la tentation de la vue des royaumes de la terre depuis la montagne répond au « beau à voir ». Quant à la tentation de se précipiter depuis le pinacle du temple, on peut y voir un parallèle avec le fait que les fruits en Éden apparaissent comme « précieux pour ouvrir l’intelligence », ce qui équivaut finalement à vouloir se faire l’égal de Dieu, en utilisant sa Parole d’une manière inappropriée.

La question est de savoir en quoi Jésus aurait péché s’il avait cédé à ces tentations. Après tout, n’est-il pas le Fils de Dieu, libre de transformer les pierres en pain, de régner sur les royaumes terrestres et de s’arroger le statut d’égal de Dieu ? La difficulté disparaît lorsque l’on comprend que c’est en tant qu’homme que Jésus est ici tenté. Prenant volontairement la place de serviteur de Dieu (c’est la place d’Adam en Éden), Jésus fait librement le choix qu’aurait dû faire le premier homme, c’est-à-dire celui de l’obéissance aux commandements divins. Il utilise en effet pour contrer les tentations de Satan la seule citation de la Parole de Dieu, ayant recours à chaque fois à une réponse commençant par « il est écrit… ». Chez Jésus, le point principal reste le même : la soumission totale et volontaire à la seule volonté de Dieu et à sa loi.


[1] Certains citent le chap. 14 de la prophétie d’Ésaïe. Ce texte, annonçant la fin brutale du règne du puissant roi de Babylone, semblerait décrire la chute d’un personnage plus puissant encore, en filigrane, surtout aux v. 12-14. Le point principal de ce texte est, outre de fournir une prophétie qui s’accomplira effectivement plus tard dans l’Histoire, de donner une définition claire du péché : au v. 14, le personnage de ce récit est coupable de vouloir s’assoir sur le trône de Dieu afin de se déclarer Dieu lui-même. Certains autres commentateurs citent Ez 28 qui parle de la chute du roi de Tyr. Derrière la description de la déconfiture de ce monarque, semble apparaître le récit d’une chute angélique (surtout les v. 13-15). Le point fort de ce texte est de faire ressortir lui aussi le péché dans sa définition profonde (v. 2) : ce puissant personnage, au faîte de sa puissance, tombe dans l’orgueil et devient coupable de s’être pris pour Dieu lui-même.

[2] Job est probablement le plus connu d’entre eux (lire par exemple Job 9.17, où il impute à Dieu les souffrances que le diable lui a infligées).

[3] L’ordre des évènements est différent dans les deux Évangiles. Il existe un parallèle entre Luc (qui fait remonter la généalogie de Jésus, fils de l’homme, à Adam) et le texte de Genèse.

[4] Car au travers de la femme, c’est bien Adam qui est visé.


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Auteur de l’article : Éditions Clé

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